Descendre la Volga - page 134

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expositions de matériel militaire et de multiples manifestations, est un sentiment fort qui
rassemble et unit, conduisant, m’a-t-il semblé, non pas à l’arrogance vis-à-vis des autres mais
à l’exigence vis-à-vis de soi, peut-être le ressort principal d’une nation qui en quelques
générations a connu des expériences politiques si tranchées.
J’ai aimé la descente de la Volga, je me suis senti à mon aise en Russie et je pense que
j’y reviendrai. Dans l’introduction à ses
Lettres de Russie
, Custine constate que les Russes
jusqu’à lui ont été traités en enfants gâtés par les auteurs français (Dieu sait que lui-même ne
tombera pas dans ce travers !). Les Russes que nous avons rencontrés durant cette croisière, à
bord comme à terre, étaient peut-être des enfants gâtés de la nouvelle Russie. Je les ai trouvés
sympathiques et généralement efficaces, et ils m’ont donné envie de retourner chez eux. Sans
doute nous ont-ils présenté et ont-ils incarné une image volontairement positive de leur pays
mais je voudrais que les jeunes Français pilotant des étrangers chez nous en fissent autant.
Le voyage de Custine au temps du tsar Nicolas I
er
était, de l’aveu même du voyageur,
un voyage politique : « J’allais en Russie pour y chercher des arguments contre le
gouvernement représentatif, j’en reviens partisan des constitutions. » Le nôtre n’avait pas
d’ambition similaire, mais il nous a plutôt laissé de bonnes impressions sur le pays du
président despote Vladimir Poutine. Il me paraît utile de le faire savoir.
Astolphe de Custine retournera vivre avec son ami Sainte-Barbe en son château du
Belvédère dans le Val d’Oise ; son livre sur la Russie connaîtra un grand succès jusqu’à la
guerre de Crimée (l’auteur meurt peu de temps après la fin du conflit, suivant dans la tombe le
tsar Nicolas I
er
qu’il avait vilipendé), puis tombera dans l’oubli, l’image plus positive donnée
par le
De Paris à Astrakhan
de Dumas s’y substituant et l’alliance franco-russe achevant de le
reléguer aux oubliettes, jusqu’à ce qu’on découvre qu’il avait préfiguré la Russie soviétique,
ce qui lui donnera une nouvelle jeunesse. Alexandre Dumas, lui, rentré de Russie, a fait de la
politique mais ni de la politique russe, ni de la politique française : il a aidé Garibaldi à
conquérir l’Italie. Il est entré à Naples aux côtés du condottiere et y est resté trois ans,
combinant un poste de directeur des fouilles et des musées – oh combien important entre
Pompéi et Herculanum – avec la direction du journal
L’Independente
, précurseur du
Corriere
della Sera
. Revenu en France, il continue de publier à tour de bras, tout en travaillant, bouche
goûtant et main écrivant, à un
Grand Dictionnaire de Cuisine
qui sera publié après sa mort. Il
est atteint d’un fatal AVC au moment où éclate la guerre de 1870.
Michel, évoquant la réflexion désabusée d’Astolphe citée au début de cette relation de
notre voyage, accompagnera les vœux qu’il nous enverra pour l’année nouvelle de ce
commentaire : « Les villes russes sont un peu partout les mêmes, disait-on… De même, les 26
lettres composent des mots, des phrases, des récits, qui pourraient sembler être les mêmes,
mais qui sont variés et enrichis par mille réminiscences et souvenirs… Non, la Russie n’est
pas un pays neutre. »
Bravo, Michel ! La Russie, pays du bon vivre, est aussi un pays de passion. Hélas ! les
passions maintenant s’exacerbent autour de la Crimée. Le tour de Crimée, que nous devions
faire avec un groupe napoléonien en hommage aux combattants de Sébastopol, vient d’être
annulé par l’agence de voyage en charge de sa préparation car la situation s'est tendue ces
dernières semaines entre la Russie et l'Ukraine, bien que les médias ne s'en fassent pas l'écho,
ayant les yeux rivés sur le Moyen-Orient. Quelle bonne idée ont eue Gérard et Béchou de
visiter la terre des Cimmériens avant les événements provoqués par une imprudente poussée
de l’Union européenne voulant arracher la Russ de Kiev à l’influence de la Russie de Moscou
sa fille ! Mais ne faisons pas de politique !
La Volga est aujourd’hui, après tant de bruit et de fureur au fil des siècles, un long
fleuve tranquille. Il est satisfaisant d’avoir constaté sur place que cette région, théâtre de
guerres, de révoltes, d’incendies et destructions multiples au cours des siècles, puis des grands
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