Descendre la Volga - page 130

LA MER CASPIENNE
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couvrant une surface grande comme les deux tiers de la France, cinq fois la Manche,
s’étendant sur plus de 1.000 km du nord au sud, large par endroits de plus de 400 km. Sa
principale ville, sur la rive occidentale, est Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan et capitale
pétrolière de la région. Je me rappelle ma descente d’avion à Bakou en début de printemps à
la fin des années 60, la douceur printanière de l’air après le froid moscovite encore vif, et
l’odeur de pétrole qui vous prenait à la gorge et ne vous quittait plus. Un petit incident avait
marqué cette arrivée : mon voyage était organisé par l’OU.P.D.K (organisation des services
pour le corps diplomatique), mais personne ne s’étant manifesté pour m’accueillir, j’avais tout
bêtement pris le bus pour le centre-ville, certain que j’y découvrirais mon hôtel sans
problème, ce qui fut le cas. Or j’étais à peine installé dans ma chambre que la réception me
convoquait dans le hall, où m’attendait une dame dans tous ses états : c’était la guide désignée
par l’Intourist local, qui m’avait manqué à l’aéroport et me fit une scène pour ne pas l’avoir
attendue. Manifestement elle devrait rapporter à ses chefs qu’elle m’avait laissé une heure
dans la nature et se demandait si cette faute professionnelle n’allait pas lui valoir la Sibérie.
Mon autre souvenir est l’interminable bord de mer d’où partaient de longues estacades à
l’accès interdit. Au reste une ville immense, toute plate, assez banale, mi-coloniale, mi-
soviétique, avec de beaux espaces verts. J’imagine qu’ici comme ailleurs le retour de la
religion, avec églises et mosquées arborant fièrement leurs attributs, a insuflé à la ville vie et
vigueur. Avec plus de deux millions d’habitants, Bakou dépasse largement en population
toutes les villes de la Volga que nous avons visitées.
Je passe la parole à Jean-Michel Cosnuau, un « Frantsous » conquis par les manières
directes et la gaieté des Russes, ayant su profiter des opportunités de l’après-communisme,
patron de bars-dancings et de clubs de strip-tease à Moscou, auteur de
Froid Devant !
, le récit
de ses multiples
bizness
et de ses diverses amours, visitant Bakou dans les années 90 :
« Bakou était une ville contrastée et pleine du charme de ce qu’elle avait été. A partir
du milieu du XIX
ème
siècle, Bakou était devenue la capitale de l’or noir et avait attiré
beaucoup de riches investisseurs étrangers comme la famille Nobel ou les Rotschild, avant de
tomber dans l’orbite soviétique. L’architecture s’en ressentait, capricieuse, un mélange
néoclassique occidental et soviétique et se perles de l’architecture islamique dont le palais des
Chirvanchahs était le joyau. La ville était en reconstruction. Sur la grande avenue du bord de
mer, on pouvait voir des limousines roulant à vive allure croiser des bergers et leurs troupeaux
de moutons [j’ai fait la même expérience à Bagdad]. La mer, hérissée de vieux derricks
rouillés, était couleur de mazout et huileuse. »
La mer Caspienne se situe à une trentaine de mètres au-dessous de la surface des
océans ; son niveau a varié au cours des siècles (a-t-elle été un des moteurs du Déluge ?) ; au
XX
ème
siècle, il a baissé de trois mètres, puis remonté d’autant, inondant au sud le littoral
iranien jusqu’au pied de la montagne protégeant Téhéran (la colère du Très-Haut contre les
ayatollahs ?) ; certains scientifiques considèrent le microcosme caspien comme un laboratoire
du changement climatique ; c’est aussi, du fait de sa richesse poissonneuse (saumons,
esturgeons, sterlets) un « musée maritime à ciel ouvert ».
La Caspienne est-elle une mer ou un lac salé, comme au pays des Mormons (elle est
près de cent fois plus vaste que leur Grand Lac Salé) : les savants en discutent ; sa salinité
n’est que le tiers de celle des mers et océans ; la Volga et ses aides finiront-ils par en faire un
lac tout court ? la désignation de cette étendue d’eau, qui commande son statut au regard du
droit international, n’est pas sans importance, au vu de ses richesses, convoitées naturellement
et légitimement par les pays riverains, la Russie, les autres Etats héritiers de l’URSS, et l’Iran.
Du fait de sa situation entre l’Europe et l’Asie, entre la Russie et le monde arabo-musulman,
la Caspienne est un espace stratégique majeur ; la Russie y maintient une importante flotte
militaire destinée à protéger ses intérêts économiques, mais aussi à lutter contre le terrorisme,
dont le Caucase est sur son territoire un théâtre d’opérations principal (la partie adverse
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