Descendre la Volga - page 132

RETOUR
De très bonne heure, le lendemain, nous partons pour l’aéroport Narimanovo. Dernier
regard au lac des cygnes et des pédalos de la Venise de la Caspienne (cette Caspienne que
nous ne verrons pas cette fois, mais que j’ai vue il y a longtemps). Arrivant à l’aéroport, nous
retrouvons une institution bien soviétique et toujours présente : la queue. Nous en ferons
plusieurs, la première, la plus longue et la plus confuse, en dehors de l’aérogare, dans laquelle
il s’agit précisément d’entrer. Heureusement un beau jour s’annonce à nouveau, nous
permettant de goûter une dernière fois la douceur de l’air dans ce pays méridional que nous
allons quitter. Les autres, plus traditionnelles, se feront à l’enregistrement (directement pour
Paris), au contrôle de police, à la fouille et à l’embarquement. Dans ce pays qui a souffert du
terrorisme, ces formalités sont accomplies avec sérieux mais sans méfiance excessive. Ce fut
le cas aussi à l’escale de Chérémétiévo et, merci à Aéroflot et à Airbus, nous fûmes à l’heure
dite à Paris.
Un pays sérieux et bien tenu : c’est l’impression que nous laisse la Russie de M.
Poutine. Comme nous l’ont dit à maintes reprises nos accompagnateurs russes sur le « Russ »,
il faudra faire avec lui jusqu’à notre retraite et au-delà. L’
intelligentzia
ne l’aime pas mais tout
le pays vote pour lui. A son actif il a la remise en ordre de l’économie et de la société russes
après les années d’application de la « thérapie de choc » préconisée par le professeur
américain Jeffrey Sachs – l’abominable Jeffrey – pour faire passer la Russie de la
planification centralisée à l’économie de marché, qui provoqua l’apparition des oligarques,
l’aggravation des inégalités et le glissement dans la précarité sinon dans la misère matérielle
de la partie de la population laissée pour compte dans cette mutation. Par des mesures souvent
brutales, n’hésitant pas à forcer les règles du jeu, Poutine a repris en main la situation, replacé
les immenses ressources naturelles du pays au service de la nation, installé des instruments de
contrôle des nouveaux opérateurs, rendu leur place aux structures héritées de l’ancien système
à côté de celles issues du changement, redonné à ceux des Russes qui se croyaient oubliés par
la nouvelle donne confiance en un Etat capable de réagir à leurs besoins.
Tout cela au prix d’un recul évident des libertés politiques ? Permettez-moi encore une
référence littéraire et historique. Dans son roman, bien oublié aujourd’hui,
Francia
, écrit en
1872, après que la France a connu une autre invasion, mais se situant en 1814, quand les
Cosaques sont à Paris (ils y revinrent en 1815), George Sand, reflétant la vision des Français
de son temps, dénonce « ce qu’on appelle en Russie la civilisation, c’est-à-dire le culte
aveugle de la puissance absolue… Qu’elles sont tenaces et patientes, ces énergies qui
consistent à écraser les plus faibles pour se rattacher aux plus forts ! C’est toute la science de
la vie chez les Russes. » Les réformes d’Alexandre II devaient commencer à modifier cette
appréciation, tandis que l’alliance franco-russe amenait à jeter un voile pudique sur la réaction
qui s’ensuivit. La deuxième vague de réformes qui suivit la révolution de 1905 n’avait pas
changé substantiellement la société russe, quand survint le pouvoir des Soviets, se coulant
dans le moule dictatorial du régime tsariste honni avec autant d’aisance que François
Mitterrand, vitupérateur de la V
ème
République et de son premier président, quand il se glissa
dans les attributs de Charles de Gaulle.
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