Descendre la Volga - page 127

LE DELTA DE LA VOLGA
125
ERIK
: j’apprendrai plus tard que c’est la dénomination courante (est-ce un mot tatar, turc ou
d’une autre langue de peuple passé par là ?) des conduits du delta.
Nous avons maintenant quitté la route principale et obliqué vers la base où nous
attendent nos canots. L’endroit s’appelle
KAMYZIAK
, le nom qui s’affiche sur la casquette que
j’ai rapportée de là-bas. Nous sommes bientôt à pied d’œuvre. Une planche étroite nous mène
à un embarcadère branlant, sous lequel des canots sont amarrés. Nous enfilons
consciencieusement les gilets de sauvetage orange. Les canots approchent, chacun prend
deux, trois ou quatre passagers selon le cas. Abeille et moi montons ou plutôt descendons
dans l’un d’eux, suivis de Marie-Claude qui s’installe à côté de notre pilote Nikolaï, en veste
et capuchon cirés gris et blanc, au crâne enfoui dans une casquette à visière de même teinte.
Déjà l’esquif bondit, décrit un large demi-tour qui nous conduit presque au bord opposé de la
large nappe d’eau.
Nous voilà partis pour une trépidante partie de tape-cul. Tandis que les rives coiffées
de hautes herbes touffues se resserrent autour de nous, notre légère embarcation file comme
une flèche, n’étant jamais si joyeuse que lorsqu’elle rebondit sur les remous des canots que
nous croisons. Le vrombissement du moteur et le claquement de la coque sur l’onde secouée
sont tels que je me demande si Marie-Claude, assise devant, aura pu échanger deux mots dans
la langue d’Essénine avec notre capitaine.
Mais nous ralentissons car nous arrivons à destination : l’eau en face de nous se
couvre à gauche d’une couche végétale, où déjà nous apercevons les taches orange de ceux
qui nous ont précédés : c’est le commencement d’un champ de lotus, dont le vert plus sombre
se détache sur l’eau et la végétation environnante. Nous y pénétrons à notre tour. De fleurs
point (ce n’est pas la saison) mais d’immenses corolles dentelées au fond pâle. La feuille est
tenue par un pédoncule subaquatique qui s’appelle rhizome (il paraît que les Asiatiques en
font des salades – au sens propre et figuré). Et les fruits ou plutôt les graines sont là. Nikolaï
en attrape, les décortique de leur péricarpe protecteur et nous les donne à goûter. Je ne puis
dire que la saveur en soit inoubliable, pas plus que les autres gousses exotiques que notre
attentionné pilote ira dénicher plus loin pour nous en leur donnant un nom intraduisible.
Un champ de lotus du delta
Enfin l’expérience gustative touche à son terme. Nous laissons les lotus derrière nous
et reprenons le tape-cul. Dans leur hâte de rentrer à la maison, nos canoteurs font la course, se
hélant au passage et s’excitant mutuellement. Au débarquement, pour nous remettre des
émotions de notre virée qui aura duré en tout une grande heure, le petit verre de vodka nous
1...,117,118,119,120,121,122,123,124,125,126 128,129,130,131,132,133,134,135,136,137,...152
Powered by FlippingBook