Descendre la Volga - page 5

DE LA SEINE A LA VOLGA
Il est des expéditions héroïques ou du moins sportives. Il en est d’autres confortables
et non moins actives. Sylvain Tesson en side-car avec Napoléon de Moscou à la Bérézina a
donné l’exemple des premières. Celle que je vais raconter depuis la même Moscou jusqu’à
Astrakhan (le « kh » russe invitant au même effort glottal que la célèbre « jota » espagnole)
relève du second type. Le même Sylvain Tesson avait précédemment vécu six mois dans une
cabane à l’ouest du lac Baïkal dans les forêts de Sibérie. Nous avons passé quinze jours dans
une cabine sur un bateau descendant la Volga.
Le croirez-vous ou non, c’est sur les bords de la Seine que la Volga m’attendait. Nous
promenant un dimanche sur les quais rive gauche en aval du pont d’Iéna, Abeille et moi (oui,
je sais, mon vieux Blaise, le moi est haïssable, mais comment s’en passer dans un récit à la
première personne ! et de toute façon c’est à Montaigne d’abord que tu en voulais !), nous
eûmes la surprise d’y découvrir un beau et grand navire qui y était amarré. Nous avions salué
au passage le comte de La Pérouse, dont Louis XVI, qui l’avait envoyé faire le tour du globe
pour en mieux connaître les contours, demandait des nouvelles au pied de son échafaud, nous
étions donc dans l’ambiance des expéditions lointaines, mais le bâtiment sous nos yeux
n’avait rien à voir avec
la Boussole
ou
l’Astrolabe
. Cette nef tranquille sous nos yeux n’avait
aucune prétention à la circumnavigation comme ces grands voiliers qui remontent parfois la
Garonne jusqu’à Bordeaux, faisant se lever pour leur passage le pont de Bataclan. Ce
bâtiment réservé à l’eau douce, dont on apercevait la discrète cheminée à la poupe, portait,
anglicisé comme c’est la mode de nos jours, le tourisme étant la dernière mamelle de la
France (le service diplomatique de promotion du commerce français à l’étranger, où j’ai fait
carrière, ne s’appelle-t-il pas aujourd’hui « Business France » ?), le nom de
Seine Princess
[peint à babord avant, en lettres majuscules : S
EINE
P
RINCESS].
Une rampe étroite, avec pour
garde-fou sur la droite une corde aux gros fils torsadés tenue par deux poteaux métalliques
cylindriques à tête sphérique (rassurez-vous, je n’abuserai pas de ces descriptions à la
Théophile Gautier, que j’ai assez subies en lisant ses romans, au demeurant pleins d’action,
mais qui tarde à démarrer), bien astiqués l’un et l’autre (un signe engageant de souci du
détail), permettait d’y monter, et de plus un marin en uniforme du bord, qui s’apprêtait lui-
même à y rentrer, nous y engageait. Nous cédâmes à cette double invitation et nous
retrouvâmes à l’intérieur dans le carré d’accueil aux reluisantes boiseries. Là d’autres
membres de l’équipage nous apprirent qu’ils levaient l’ancre ce soir à destination d’Honfleur
(de Honfleur, protesteront les puristes, mais rallions-nous au panache blanc d’Henri IV !). Il
n’était pas trop tard pour se joindre à l’expédition jusqu’au pittoresque port normand où
naquit Eugène Boudin, le peintre des bords de mer. Nous déclinâmes la pourtant tentante (tan-
tan-tan : Flaubert ne m’aurait pas pardonné ça !) proposition, n’étant pas de tempérament à
nous lancer dans une telle aventure au pied levé (comme vous peut-être, ami lecteur, nous
aimons préparer longuement nos voyages proches ou lointains). Notre interlocuteur nous dit
que la compagnie opérait tous les fleuves d’Europe. Je demandai le catalogue. Et c’est ainsi
que, rentré à la maison, j’ai découvert, et fait découvrir à Abeille, la croisière sur la Volga
entre Moscou et Astrakhan.
1,2,3,4 6,7,8,9,10,11,12,13,14,15,...152
Powered by FlippingBook