Descendre la Volga - page 11

MOSCOU
ET LE CANAL MOSCOU-VOLGA
L’Airbus d’Aeroflot (où sont-ils, les bons vieux Tupolev de ma mémoire ?) nous ayant
amenés à Chérémétiévo (du nom d’une grande famille de boyards de l’antique Russie, les
Chérémétiev) en cette fin d’après-midi de septembre, nous sommes accueillis par Tatiana,
notre accompagnatrice-conférencière (au prénom pouchkinien qui me replonge dans les pages
frémissantes d’
Eugène Onéguine
), assistée du jeune et fluet Dimitri et de la jeune et souriante
Dacha. Il fait déjà nuit quand nous sortons de l’aérogare, il y a des étoiles au ciel, mais elles
semblent bien pâles et lointaines, alors que les lumières terrestres de la nouvelle Russie,
partant dans tous les sens, nous éblouissent de partout Une demi-heure de car nous emmène
sur les bords du « réservoir de Khimki », au port fluvial nord de Moscou.
Tatiana nous a signalé en chemin que nous franchissions le point d’avance extrême
des Allemands à l’hiver 1941. Staline avait décidé comme Pétain à Verdun : « Ils ne passeront
pas ! » Napoléon, lui, en 1812, était passé. Rostopchine, le gouverneur de Moscou, avait
voulu l’arrêter, faisant appel au patriotisme des Russes, invitant la population à s’armer de
fourches et de piques contre l’envahisseur. Etait-ce jouable ? Nous ne saurons jamais.
Koutouzov, le général en chef, soldat de métier, qui ne croyait pas à la guerre populaire,
choisit le repli et l’abandon de la vieille capitale, qui n’était plus, depuis Pierre le Grand, que
la seconde capitale de l’empire, ayant dû céder la première place à Saint-Pétersbourg. La
décision eût peut-être été différente si Moscou était restée le siège du pouvoir impérial,
comme elle le redevint sous les soviets. En 1941 Staline avait fait évacuer les administrations
d’Etat sur la Volga et s’était fait aménager là-bas un bunker – nous allons voir tout cela
in
locis
– mais lui-même resta sur place, sa présence confirmant à tous, aux chefs de l’armée – il
a fait venir de Leningrad Joukov dont il connaît les capacités – comme à la population son
intention de résister. Femmes et enfants des écoles se mettent à remuer la terre. Tranchées et
fossés antichars transforment Moscou en forteresse, contre laquelle les panzers de von Bock
vont venir se briser. Qui sait si en 1812 Rostopchine n’avait pas raison et s’il n’eût pas mieux
valu défendre Moscou à outrance que de la brûler ?
Mais nous voici arrivés. Nous avons quitté la belle avenue toute droite au trafic rapide
(à Moscou, quand on peut circuler, manifestement, on va vite), circulé en zigzag sous des
arbres aux épaisses ramures, débouché sur un quai aux rares lumières, deviné l’eau sombre
au-delà, roulé encore un peu. Nous y sommes. Tout le monde descend dans la nuit douce de
septembre.
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