Descendre la Volga - page 7

DE LA SEINE A LA VOLGA
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n’était pas présente alors mais qui avait fait à son tour la connaissance de ce pays continent à
l’occasion des bicentenaires des campagnes napoléoniennes (Eylau et Friedland en 2007,
Moskova et Bérézina en 2012), fut d’emblée aussi enthousiaste que moi. Une croisière offre
tout de même le grand avantage de ne pas avoir à changer de chambre tous les soirs. J’avais
essayé l’année précédente de lui proposer un circuit terrestre à travers les trois pays Baltes de
Tallinn à Vilnius, mais l’idée d’avoir à fréquenter cinq hôtels en huit jours l’avait rebutée.
Nous avançons en âge sinon en sagesse et tenons à notre confort. Cette fois elle était partante
sans hésiter. Deux couples d’amis ayant déjà l’expérience de la Russie, Gérard et Béchou,
croisiéristes distingués, qui avaient quelques années plus tôt descendu le Dniepr et poussé
jusqu’en Crimée (oui, je sais, ce n’est pas la Russie, c’est l’Ukraine, mais nous verrons
combien intimement ces deux pays issus de l’éclatement de l’URSS, qui fut aussi un
démembrement de la vieille Russie impériale, sont liés par leur longue histoire commune).
Béchou regrettait un peu d’être enlevée à sa chère Auvergne, où il fait si bon en septembre,
mais elle devait apprécier le beau temps sur la Volga. Michel et Marie-Claude, russisants
distingués, ayant souvent séjourné à Moscou et à Saint-Pétersbourg, à qui nous en parlâmes,
le furent également. Gérard et moi avions été à l’œuvre au pays des Deux Fleuves, le Tigre et
l’Euphrate, qui aux temps heureux bordaient le Paradis terrestre ; Michel, ingénieur au long
cours, avait séjourné sur les rives du Mékong ; mais ce n’étaient pas des fleuves à croisière.
C’est en Russie que Michel et Marie-Claude s’étaient rencontrés la première fois.
C’est grâce à Michel qu’à mon tour, jeune fonctionnaire, j’avais découvert la Russie en
voyage de Noël (au temps où le sapin de Noël était le sapin du Jour de l’An – novogodniaia
iolka) : séduit par ce pays si proche et si exotique (descendant d’un grand-père suédois qui
fonda une famille en France au début du XX
ème
siècle, mon quart de sang nordique m’avait
peut-être aussi rapproché du royaume jadis fondé par le Varègue Rurik appelé là-bas pour
mettre de l’ordre par les commerçants de la Volga au temps de Charlemagne – le nom même
de « Russ » étant dérivé du mot finnois pour « Suédois »), je me mis à en apprendre la langue
et y sollicitai, au titre de la mobilité, cette merveilleuse facilité existant dans la fonction
publique, un poste à notre ambassade qui me fut accordé par l’Administration.
Je suis parti pour l’URSS, aux beaux jours de la troïka (à ne pas confondre avec la
Troïtsa, qui est la Sainte Trinité, celle-là ne l’était guère) Podgorny – Kossyguine – Brejnev
quand la réforme économique du second suscitait bien des espoirs avant que le troisième ne
s’imposât et que ne commençât la « glaciation ». C’était l’époque où la coopération franco-
soviétique prenait son essor à la suite du voyage là-bas du général de Gaulle, ayant
préalablement expulsé l’OTAN et proclamant l’entente retrouvée des Slaves et des Gaulois
(son « grand dessein » affiché et que j’eus le privilège de contribuer à réaliser, était de passer
« de la détente à l’entente et à la coopération »). Dès 1959, au temps de Khrouchtchev, Enrico
Mattei, le président de l’entreprise pétrolière italienne ENI, bravant les interdits de la guerre
froide, avait conclu avec l’URSS un contrat d’achat de pétrole, lui fournissant les devises qui
permettraient à la patrie de socialisme d’acquérir auprès des capitalistes occidentaux les
usines et technologies nécessaires à son développement. De Gaulle entendait bien que la
France en profitât. Hélas ! si les gentils Slaves applaudissaient le grand homme, les turbulents
Gaulois allaient lui donner du souci. J’ai vécu là-bas mai 68 quand
Le Monde
n’arrivait plus.
La visite officielle du président Pompidou, ayant repris à son compte la politique de relations
privilégiées avec le pays des Soviets de son prédécesseur, m’a donné l’occasion d’approcher
de près la troïka toujours régnante dans la salle de cérémonie du grand Palais du Kremlin,
sans toutefois que le diplomate subalterne que j’étais soit admis par le protocole soviétique à
venir leur serrer lui serrer la main. A mon retour en France j’ai écrit avec Michel Peissik, un
collègue de l’ambassade, dont il sera parlé plus loin, à la demande d’Edmond Blanc, des
Editions du Seuil, un ouvrage exagérément optimiste sur l’avenir de l’économie soviétique :
URSS : l’entreprise face à l’Etat
(Giscard, alors président de la Grande Commission franco-
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