Descendre la Volga - page 9

DE LA SEINE A LA VOLGA
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qu’on pourrait appeler, par analogie avec le
hic sunt leones
des cartes de l’Afrique, le
hic sunt
ursi
là sont les ours. Nos deux chroniqueurs ont voulu l’un comme l’autre pénétrer cet au-
delà ; ils ont l’un et l’autre atteint la Volga, brisant une autre barrière psychologique : le grand
fleuve a été des siècles durant le pays des Mongols ou Tatars, donc une marche avancée de
l’Asie ; est-il moins russe pour autant ? La Garonne a été anglaise plusieurs centaines
d’année : en est-elle moins française aujourd’hui ? Mais, me direz-vous, les Anglais ne sont
pas les Mongols ; et voilà pourquoi la Russie – même si de Gaulle nous a rappelé que
l’Europe allait de l’Atlantique à l’Oural, couvrant donc la Volga - la Russie reste, dans notre
subconscient, une puissance asiatique, aux marges de cette Europe que nous avons construite,
où elle n’a toujours pas trouvé sa place. Mais ceci est un récit de voyage, non un ouvrage de
géopolitique, au moins sera-ce l’occasion de faire découvrir au lecteur avec nous le passé
souvent inconnu ou mal connu de cette partie du continent, un continent qui nous est
commun. Connaître le passé – le passé du sol qu’on a sous ses pieds – aide à comprendre le
présent et à préparer l’avenir. C’est important chez soi, mais ce l’est aussi chez les autres,
avec qui nous sommes appelés à vivre sur cette planète de plus en plus petite. C’est aussi
l’occasion d’identifier les vraies richesses partout où elle se trouvent et, le cas échéant, de les
partager.
A propos de compagnons littéraires, j’allais oublier : Jean-Pierre, qui fut, en leur temps
à eux, celui d’Alexandre avant d’être, du nôtre, celui de Michel ; un autre Michel, un Russe
celui-là, sorti de l’imagination d’un Français, le grand Jules, aux ouvrages ayant captivé ma
lointaine jeunesse, rival d’Alexandre en popularité mondiale ; j’ai retrouvé avec bonheur les
exploits de ce Michel tandis qu’Abeille était avec Alexandre ; et enfin un autre Alexandre, un
Russe lui aussi, poète, romancier, historien, fasciné par les événements sanglants dont la
région que nous allons traverser avait été le théâtre aux siècles d’avant lui, et nous ayant
restitué ces événements passionnément. Nous rencontrerons aussi là-bas deux autres Français,
Théophile, qui sera surtout notre informateur gastronomique, et Désiré, sans doute le plus
curieux de tous. A notre retour, ayant repris mes séances de recherche à la Bibliothèque
Nationale, le hasard ou la chance m’a mis face à face avec un de leurs contemporains, que je
connaissais à d’autres titres, qui, lui, n’est jamais allé en Russie mais s’est intéressé à des
épisodes de l’histoire de ce pays ayant eu pour point de départ le grand fleuve. Je laisse au
lecteur le plaisir de découvrir le moment venu qui est celui-là.
Une question se posait à nous d’emblée : fallait-il descendre la Volga ou la remonter ?
En matière de montagne, c’est l’ascension qui compte, et de toute façon on ne peut que
commencer par elle ; pour les fleuves il en va différemment. La descente avait plusieurs
avantages : elle précédait la remontée et donc se faisait plus tôt dans l’année, ce qui, quand on
sait combien la mauvaise saison arrive vite dans ces contrées et combien elle est rude
(Napoléon l’a appris à ses dépens (bien qu’il ait bénéficié d’un bel automne prolongé dû peut-
être à la comète de 1812, mais cela n’est pas notre sujet), était un point important. De plus,
naviguer dans le sens du courant permettait de gagner du temps pour les escales. Il faut croire
qu’une majorité de candidats passagers pensa comme nous, car nous sûmes par la suite que la
remontée avait été annulée.
Une petite émotion un mois avant le départ. Et aussi une première révélation sur le
monde que nous allons aborder : le grand fleuve n’est plus tout à fait le fleuve qu’il était, du
moins ne l’est plus sur tout son parcours : il a été, comme tant d’autres dans le monde,
aménagé par l’homme, son énergie – cette énergie propre chère aux écologistes - mobilisée
pour fournir de l’électricité au pays, il est devenu une suite de bassins ou « réservoirs ». Or
l’organisateur de notre croisière nous fait savoir qu’en raison du niveau d’eau insuffisant du
réservoir de Gorki (Nijni Novgorod) sur la Volga (encore un effet du réchauffement
climatique ?), nous pourrions devoir effectuer un changement de navire à l’écluse située à 40
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