Descendre la Volga - page 119

ASTRAKHAN
117
La « bibliothèque » aux poissons d’Astrakhan
Ce matin-là, après le « zavtrak » (petit-déjeuner) agrémenté des délicieux « syrniki »
(beignets au fromage), le « Russ » poursuivant sa route entre les deux rives inondées de
lumière, toutes proches maintenant, toujours boisées, les arbres cachant non pas la forêt mais
la steppe chère à notre ami Astolphe, qui n’aura pu venir si loin en emplir à loisir son cœur
mélancolique, j’ai pu payer la boîte palekh, la connexion comme annoncé se faisant sans
difficulté. Mis en appétit par le délai, j’y ai ajouté un petit cheval à bascule harnaché de rouge
vif, qui sera parfaitement à sa place sur la cheminée de la grande salle dans notre maison de
Dordogne, en compagnie des chevreuils bondissants qui s’y trouvent déjà. Nous arrivons à
Astrakhan en milieu de matinée. Le soleil déjà haut a filé vers le sud. Le thermomètre frôle les
25°. La ville s’étale sur les deux rives. La Volga n’est plus large que de quelques centaines de
mètres et ses bras, quand elle se divise autour d’une île, sont plus étroits encore. Ce n’est pas
tout à fait la Seine s’ouvrant devant l’île Saint-Louis, mais presque (la Bérézina à Borissov, il
y a trois ans, m’avait rappelé l’Isle à Périgueux). Une grande activité portuaire règne sur la
rive droite. Mais déjà nous pivotons, contournons l’île boisée et bordée de plages que nous
longions, et nous amarrons au long du quai, tandis que quelqu’un là-bas, droit sur le socle
élevé qui le soutient, nous observe… quelqu’un, mais oui, la haute taille, la fière allure, le
tricorne, la canne fermement tenue, la main sur la poignée de l’épée, Pierre le Grand,
L’avouerai-je, j’ai été surpris d’être accueilli par Pierre le Grand à Astrakhan ; j’avais
oublié combien le fondateur de la Russie moderne, qui nous a surtout laissé l’image du
Cavalier de bronze à Saint-Pétersbourg, vainqueur de Charles XII à Poltava, était un
passionné de la mer, qu’il avait travaillé dans un chantier naval en Hollande, voulu se bâtir
une capitale sur l’eau, désigné à ses successeurs la Caspienne et la mer Noire pour frontières
de la Russie, des frontières qu’ils eussent étendues jusqu’à la Méditerranée si l’Angleterre et
la France n’avaient arrêté cette expansion avec la guerre de Crimée. La Russie post-soviétique
lui a rendu un juste hommage en le représentant debout sur un pont de navire face au Kremlin
à l’extrémité de l’île de la Moskova. Il fut un des bienfaiteurs d’Astrakhan, dont il voulait
faire la base de la percée russe dans les mers du Sud.
Or, une fois sur le quai, nous ne le voyons plus. Une haute palissade de planches
grossièrement badigeonnées de gris nous le masque, comme, s’étendant à perte de vue sur la
droite comme sur la gauche elle nous sépare de la ville. Nous apprendrons qu’il est question
de construire sur le terrain ainsi délimité un complexe sportif, mais que, les édiles n’étant pas
d’accord et leurs négociations donnant lieu à toutes sortes de tractations, la passation des
1...,109,110,111,112,113,114,115,116,117,118 120,121,122,123,124,125,126,127,128,129,...152
Powered by FlippingBook