Descendre la Volga - page 113

DE VOLOGOGRAD A ASTRAKHAN
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Moscou ; 25 septembre 1991 : démission de Gorbatchev – dislocation de l’URSS ; décembre
1999 : démission de Eltsine (le nom de son successeur Poutine n’est pas prononcé). Comment
a-t-on vécu tout cela ? Il a fallu se débrouiller. Le trafic des voitures a aidé les malins. On
achetait leurs vêtements aux touristes.
Cependant la Volga, derrière les grandes baies vitrées, continue de défiler entre deux
rideaux d’arbres.
Le changement a été brutal pour les personnes âgées qui encore aujourd’hui souhaitent
revenir en arrière, au temps où tout était fixé par l’Etat, leurs retraites mais aussi les prix, où il
pouvait y avoir pénurie du superflu mais où généralement le nécessaire ne leur manquait pas.
Autre phénomène lié au nouvel ordre des choses : il y a désormais de grandes différences
dans les salaires mais aussi dans les prix entre Moscou / Saint-Pétersbourg et le reste du pays.
Ainsi un professeur gagne 30.000 roubles par mois à Moscou mais seulement 10.000 roubles
dans les grandes villes de la Volga (chiffres confirmés par nos guides, pour la plupart des
universitaires heureuses de compléter leurs revenus). L’insécurité est un autre problème :
après la guerre, Staline avait éliminé les bandits. La
perestroïka
les a fait revenir et ils sont à
leur affaire dans une économie où la monnaie compte pour tout. Aujourd’hui tout existe en
Russie (ainsi les cliniques privées) pour qui a de l’argent, avec des prix occidentaux. L’école
est gratuite mais les parents sont invités à payer s’ils veulent qu’elle soit maintenue en bon
état, faute de fonds publics prévus à cette intention. Beaucoup de choses existent en principe,
on y arrivera, mais c’est une période de transition. Le service militaire a été réduit à un an, il
est question de l’abaisser encore à 6 mois, on y échappe en cas d’études prolongées. Pas un
mot sur le bizutage (la « diedovchina ») qui serait une des plaies du service militaire russe
d’aujourd’hui, ni sur la corruption des officiels qui accordent les dispenses. Il y a des
examens d’Etat pour entrer à l’Université, puis à l’issue de chaque semestre. Les bourses
peuvent aider : elles sont délivrées en fonction des ressources familiales mais aussi des
résultats des intéressés. Et l’entrée dans la vie ? Les jeunes sont unanimes : qui veut travailler
trouve du travail.
Ce que disent ces jeunes qui n’ont pas connu le communisme des nostalgiques de
l’Union soviétique (j’ai mentionné celui à bord, avec qui Michel prenait plaisir à s’entretenir,
qui ne cessait de lui rappeler que l’équipement hydroélectrique du fleuve, dont nous
admirions les ouvrages, avait été réalisé par le pouvoir soviétique) a réveillé en moi l’image
que l’
outsider
que j’étais avait gardée de la vie en URSS au temps de la troïka post-
khrouchtchévienne, celle d’une société prisonnière d’un système économique absurde, n’en
jouissant pas moins, par rapport aux périodes terribles traversées dans la première moitié du
siècle, d’appréciables avantages : l’instruction pour tous, la santé pour tous, l’emploi pour
tous, le pain et les jeux pour tous, une acceptable sinon confortable médiocrité pour tous –
payés par une privation de liberté, qui gênait surtout l’
intelligentzia
(mais le régime par ses
succès mêmes produisait de l’
intelligentzia
et donc faisait grossir au fil des décennies la
masse des insatisfaits destinée à finalement le submerger)
La conférence est suivie de la projection du documentaire « Les derniers jours de
l’URSS », où apparaît un ami de longue date (nous étions ensemble en poste sur les bords de
la Moskova à la fin des années 60), Michel Peissik, alors N° 2 de l’ambassade de France à
Moscou, futur ambassadeur de France à Kiev, qui, la France en la personne de son ministre
des Affaires étrangères Roland Dumas ayant répondu favorablement à la demande de Boris
Eltsine que des membres du corps diplomatique soient présents dans l’avion allant rechercher
Gorbatchev, fit l’aller et retour sur la Crimée et revint avec le dirigeant rétabli dans ses
fonctions, mais n’ayant plus aucune autorité comme on le verra rapidement.
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