Descendre la Volga - page 36

IAROSLAVL
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Notre guide à Iaroslavl est Ioulia. Nous montons en bus, mais nous n’irons pas loin,
car ce samedi 12 septembre est jour de « marathon municipal » (plus court que l’original
athénien et gradué pour convenir à tous les souffles, comme nous informe un policier posté
sur le circuit). Nous longeons le ravin aux Ours, au fond duquel se devine la rivière Kotorosi,
affluent de la Volga. Les plantigrades, futurs animaux emblématiques de la Russie, divinisés
par les païens locaux, furent tués lorsque le prince chrétien Iaroslav de Kiev conquit l’endroit
et fonda la ville en 1010. Iaroslav lui-même affronta le dernier d’entre eux, qui fut
métamorphosé en pierre, ou plutôt en rocher, un rocher qu’il faut toucher du doigt pour avoir
longue vie, ce que nous faisons avec empressement. La visite commence, au débouché du
pont sur la Kotorosi, par le monastère du Sauveur, devenu le musée local d’histoire et
d’architecture. Sur la pelouse qui le sépare de l’avenue, cloches et clochettes sont suspendues
à des arceaux : ce n’est pas aussi impressionnant que celles au cou des vaches à Gruyère, mais
un sonneur amateur s’en donne à cœur joie pour le grand plaisir de nos oreilles. Nous
rejoignons ensuite, apercevant au passage l’église de Saint Nicolas Mouillé, patron des
marins, la large terrasse toute droite, promenade piétonnière flanquée d’une avenue ombragée.
Et voici qu’apparaît à notre gauche la superbe cathédrale de la Dormition, toute neuve
(l’ancienne fut détruite par Staline en 1935), avec ses coupoles dorées. Ce n’est pas seulement
la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou, ce sont des centaines, voire des milliers d’églises
qui ont été érigées en terre russe depuis la chute du communisme athée, symbole de la
libération des âmes ; d’où soixante-dix ans d’oppression n’ont pas réussi à extirper un
sentiment religieux enraciné au cours des siècles. Sur le tympan du grand portail c’est,
touchante revanche, devant la Vierge endormie, le Christ debout qui tient dans ses bras sa
mère enfant.
Nous traversons la large avenue. De la charmante rotonde, digne de la
thôlos
de
Delphes, érigée sur la promenade, nous voyons tout en bas, à la pointe de terre occupant le
confluent de la Kotorosi avec la Volga, de jeunes sportifs qui s’ébrouent, s’échauffant pour le
marathon. Obliquant vers l’intérieur, nous remontons le jardin central, saluons la colonne aux
révolutionnaires massacrés en 1918 par la Garde Blanche, débouchons sur la place Volkov
avec le théâtre au fond. Temps libre pour visiter le marché. Marie-Claude s’aperçoit que
Michel, qui, mettant à profit sa connaissance du parler local, avait engagé la conversation
avec des habitants, n’est plus dans le groupe et tente de le joindre grâce à la téléphonie
mobile. L’appareil émet des ondes qui partent pour la France et, renvoyées sur les bords de la
Volga, le cherchent sans succès.
Nous retrouvons Michel à notre étape suivante, qui est la Maison du Gouverneur, où
nous sommes accueillis par la fille du dit gouverneur, en robe de mousseline blanche à plis.
Eventail sagement déployé sur son giron, elle nous briefe au pied de l’escalier. Nous sommes
introduits dans la salle de bal où un concert nous attend, tandis que du mur nous surveille le
prince Kourakine, dit « prince des diamants » à cause des multiples pierres précieuses dont
son habit était couvert, des pierres qui le sauvèrent du feu lors de l’incendie du bal à
l’ambassade d’Autriche qui clôtura les festivités du mariage de Napoléon et Marie-Louise.
Kourakine fut ambassadeur à Paris de 1809 à 1812 et eut son portrait, celui que nous avons
sous les yeux, fait par
1757-1825) en 1802. Il avait déjà été
portraituré - je n’aime pas ce mot, il fait penser à « torturé », ce qui n’est pas très aimable
pour la personne qui tient le pinceau – avait eu son portrait en buste peint par Mme Vigée-
Lebrun en 1797 durant le séjour de six ans que la célèbre artiste de la cour de Louis XVI,
émigrée comme beaucoup de ses modèles, fit à Saint-Pétersbourg, l’œuvre étant aujourd’hui
au musée de l’Ermitage. C’est au prince Kourakine que nous devons l'introduction lors des
repas de la pratique du
consistant à apporte chaque plat quand les convives
ont fini de faire honneur au précédent. Jusqu’alors le
voulait que tous les
plats fussent présentés ensemble sur la table, des entrées à la pièce montée du dessert.
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