Descendre la Volga - page 38

IAROSLAVL
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Après cette halte littéraire, nous regagnons la gare fluviale, où plusieurs bâtiment de
croisière nous ont rejoints, et remontons à bord où nous attendent Béchou et le déjeuner :
salade (russe, bien sûr), soupe, plat principal, dessert. Les repas à bord du « Russ » sont
copieux. Viande et poisson y alternent avec bonheur. Nous a-t-on servi des sterlets de la
Volga, que Potemkine se faisait livrer spécialement en son palais de Tauride à Saint-
Pétersbourg et dont il régalait la grande Catherine, ces mêmes sterlets dont Alexandre Dumas,
y ayant goûté, nous dit que leur réputation ne tient qu’au snobisme des consommateurs ?
Figurez-vous que le sterlet s’est trouvé un défenseur en la personne d’Astolphe de Custine :
« Un des poissons les plus délicats du monde (le sterléd), se pêche dans le Volga où il
est abondant ; il tient du poisson de mer et du poisson d’eau douce, sans toutefois ressembler
à aucun de ceux que j’ai mangés ailleurs : il est grand, sa chair est fine, légère, sa peau d’un
goût exquis, et sa tête pointue, toute composée de cartilages, passe pour délicate : on
assaisonne ce monstre d’une manière recherchée mais sans trop d’épices : la sauce à laquelle
on le sert a tout à la fois le goût du vin et du bouillon et celui du jus de citron. Je préfère ce
mets national à tous les autres ragoûts du pays… »
La Russie n’est donc pas un cas désespéré, cher Astolphe, on y trouve au moins du
bon poisson.
Un autre amateur de « sterlet du Volga » est Théophile Gautier qui passa à Saint-
Pétersbourg l’hiver 1858-1859 et en trouva sue sa table :
« Le sterlet mérite sa réputation : c’est un poisson exquis, à chair blanche et fine, un
peu grasse peut-être, qui tient le milieu, pour le goût, entre l’éperlan et la lamproie. Il peut
acquérir une grande dimension, mais ceux de taille moyenne sont les meilleurs… Pour une
fourchette délicate, le sterlet du Volga vaut le voyage. »
Le même Gautier se souvient de ce repas où le comte de Monte Cristo, héros
d’Alexandre Dumas, dont les aventures, publiées en 1844, quinze ans plus tôt, ont conquis le
public, « réalisant les merveilles des fééries avec une baguette d’or, fait servir un sterlet du
Volga, phénomène gastronomique inconnu sur les tables les plus recherchées, en dehors de la
Russie. »
Nous ne saurons pas si des filets de sterlet nous ont été servis, car nos enquêtes à cet
égard se brisèrent toujours sur le sourire ignorant et impuissant du personnel interrogé.
En revanche le chtchi est apparu dans nos assiettes, même s’il était moins riche que
celui décrit ci-dessous, toujours par Gautier :
« Le chtchi est une sorte de pot-au-feu dans lequel il entre de la poitrine de mouton, du
fenouil, des oignons, des carottes, du chou, de l’orge moulé et des pruneaux ! Ces ingrédients,
assez bizarrement réunis, ont une saveur originale, à laquelle on se fait bien vite, surtout
quand l’habitude des voyages vous a rendu cosmopolite en cuisine et a préparé vos pupilles
dégustatrices à tous les étonnements. »
Ah ! qu’en termes galants…
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