Descendre la Volga - page 43

KOSTROMA
41
Nous sommes samedi et c’est demain journée d’élections à Kostroma, comme dans 42
« sujets de la Fédération » sur 85 (les autres ont voté l’année dernière), ce que j’apprendrai
seulement au retour grâce à la presse française consultée sur internet, car je n’en avais relevé
aucun signe local ; je saurai du même coup que le parti Parnas (a-t-il vraiment pris le nom du
Parnasse, la montagne fréquentée par Apollon et les Muses ? c’est plutôt le Parti national)
dirigé par Alexeï Navalny, l’opposant numéro un au Kremlin, et par Mikhaïl Kassianov,
ancien premier ministre, recueillera moins de 1% des voix, le parti au pouvoir Russie Unie en
obtenant plus de 40%, mais à peine 20% des électeurs s’étant déplacés.
Les Echos
écriront
notamment : « La campagne électorale des deux candidats de Parnas à Kostroma aura été
difficile : l'un d'eux a été brièvement interpellé et un militant a été frappé lors d'un
rassemblement. Ils ont également été accusés de servir les intérêts des États-Unis dans un
reportage diffusé par une chaîne de télévision locale. » Voilà certes une Russie que nous
n’aurons pas vue ! Ces élections semblent peu passionner les Russes. Nos accompagnateurs
ne parlent pas spontanément de politique, mais répondent très librement quand on les
interroge. Aucun d’eux ne vote pour Vladimir Poutine mais ils ont la certitude tranquille qu’il
est là pour longtemps (« Jusqu’à la fin de ma vie professionnelle » nous dit l’un d’eux) et ne
s’en trouvent pas plus mal pour autant. Ils apprécient manifestement la liberté de parole et de
pensée mais n’ont pas la fibre démocratique et républicaine. Les limitations à l’activité des
opposants et les passe-passe constitutionnels ne semblent pas les scandaliser. Un « despote
éclairé », assurant l’ordre et laissant sinon ménageant des opportunités à chacun, n’a rien qui
les hérisse. Le sujet de l’Ukraine n’a pas été abordé. Je ne doute pas qu’ils considèrent la
Crimée, abusivement donnée par Khrouchtchev à sa République d’origine, comme russe. Le
problème avec les despotes, fussent-ils éclairés, c’est que l’histoire nous apprend qu’ils
finissent généralement mal. Espérons que Vladimir Poutine, qui de toute façon, est moins
inquiétant que Vladimir Oulianov, fera partie des exceptions !
Mais figurez-vous qu’à Kostroma nous avons rencontré un nouveau compagnon de
voyage, encore un, et plus ancien que tous les autres ; il s’appelle Désiré Fuzzelier ; natif
d’Abbeville (Somme), ayant exercé à l’hôpital de Montreuil sur Mer (Pas de Calais), il était
chirurgien sous-aide (il n’avait que dix-neuf ans) dans la Grande Armée ; il appartenait au
corps d’observation du maréchal Augereau basé sur la Vistule et n’a fait qu’une brève
incursion au-delà du Niémen avec sa division chargée de couvrir la retraite des troupes venant
de la Bérézina, privé de campagne de Russie, il ne perdait rien pour attendre ; il a été fait
prisonnier par les Russes en Pologne le 13 février 1813 ; lui et ses compagnons, amenés en
Russie par mer, débarqués près de Narva, passés par Novgorod-le-Grand et Vologda, où Jadis
Ivan IV reçut les premiers marchands anglais venus par Arkhangelsk intéressés au commerce
de la Volga, sont en route vers le gouvernement de Kazan ; ils ont rejoint la Volga à
Kostroma, mais ils circulent par voie de terre, dans des conditions évidemment moins
confortables que les nôtres, mais, il me semble, assez libérales ; chemin faisant, il a appris le
russe et en connaît assez pour converser avec les habitants ; il prend des notes destinées à son
Journal de captivité en Russie
;
à Kostroma lui et son groupe ont été fort bien accueillis par le
gouverneur de la ville, un ancien colonel, qui, sur leur demande, car il gelait extrêmement fort
(ils sont arrivés le 19 octobre), leur a fait distribuer des capotes ; Désiré a trouvé Kostroma
« assez bien bâtie », les maisons qui avoisinent le bazar belles et le bazar lui-même riche ; le
groupe est reparti, sans doute en suivant les chemins de halage, en direction de Kinechma, la
prochaine grande ville sur la Volga, que le « Russ » passera de nuit.
Gautier, que l’histoire russe n’intéresse pas, sinon par les œuvres d’art qu’elle nous a
laissées, ne trouve à Kostroma que l’occasion d’un jugement péremptoire à la Custine sur les
petites villes russes :
« Kostroma, où nous nous arrêtâmes aussi, ne renferme rien de particulier, du moins
pour le voyageur qui ne peut que la parcourir rapidement des yeux. Les petites villes russes
1...,33,34,35,36,37,38,39,40,41,42 44,45,46,47,48,49,50,51,52,53,...152
Powered by FlippingBook