Descendre la Volga - page 26

LA VOLGA
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Nous ne connaîtrons pas semblables émotions et pourrons naviguer de nuit. La
construction des barrages et la constitution des réservoirs aura manifestement changé tout
cela. Il n’y aura plus que le passage des écluses pour ralentir notre train. Mais le problème des
basses eaux subsiste, comme nous l’a rappelé l’alerte quant à un transbordement éventuel.
Le « Russ » s’apprête à entrer dans l’écluse d’Ouglitch
Nous découvrons le grand fleuve au petit matin entre ses deux rives boisées, un
paysage qui nous accompagnera tout au long du parcours. Nous dormions quand nous l’avons
rejoint à Doubna en aval du barrage de retenue du réservoir d’Ivankovo, le plus ancien et le
premier depuis la source des ouvrages hydro-électriques du fleuve. Nous sommes passés sans
le voir (et l’eussions-nous vu de jour ?) le long du plus grand syncro-cyclotron du monde.
Peut-être aurions-nous vu la plus grande statue de Lénine dans le monde, haute de 15 mètres
(la jumelle, celle de Staline, a été détruite pour cause de déstalinisation). Ayant manqué
Doubna, nous sommes prêts en revanche pour l’écluse suivante, celle d’Ouglitch. L’André
Roublev, appartenant également à la flotte de Vodokhod, y a pénétré derrière nous et nous
attendons ensemble la baisse des eaux. En fin de matinée Tatiana nous délivre la première de
ses passionnantes conférences : « La Volga, une autre histoire de la Russie ». Marie-Claude a
repéré dans la salle de conférence le piano à queue (qui se dit en russe « roïal » du mot
français « royal ») et même son nom discrètement inscrit sur le bois « Octobre rouge ». Nous
apprendrons plus tard qu’elle y a fait l’essai des partitions qu’elle avait achetées au Dom
Knighi du Noviy Arbat, les « morceaux de bravoure », comme elle dira elle-même, de
l’
Eugène Onéguine
de Tchaïkovski d’après Pouchkine. Quel dommage que sa modestie ne
nous ait pas permis d’en profiter !
Tandis que nous prenons à bord notre premier déjeuner avec menu choisi (et
l’indispensable soupe – généralement borchtch ou velouté), nous passons Kaliazine, où
Alexandre Dumas, venant du domaine voisin de ses amis Narychkine, où il avait passé
quelques jours avec eux, embarqua pour suivre le même itinéraire que nous jusqu’à
Astrakhan. Le vieux Kaliazine fut noyé lors de la construction du barrage sur le fleuve,
ordonnée par Staline. Seul le clocher de l’ancienne cathédrale Saint-Nicolas, haut de soixante-
dix mètres, continue d’émerger, replacé sur un socle idoine, nous présentant fièrement ses
cinq étages dressés au-dessus de l’eau et semblant nous dire : « Vous passez ! Je reste ! » En
début d’après-midi, nous atteignons Ouglitch, notre première escale.
Des bulbes et des grues, des grues et des bulbes noyés dans la forêt, c’est la Volga du
XXI
ème
siècle à perte de vue.
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