Descendre la Volga - page 53

NIJNI NOVGOROD
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Pour s'être élevé contre l'entrée des troupes soviétiques en
le physicien
nucléaire
un des dissidents russes les plus connus, depuis qu’il a découvert
les dangers pour l’humanité de l’arme redoutable qu’il a développée, entre les mains du
complexe militaro-industriel soviétique, faisant largement appel pour propager ses idées au
samizdat (édition clandestine), est arrêté à Moscou en pleine rue le 22 janvier 1980 et, par
simple mesure administrative, assigné à résidence dans la ville fermée aux étrangers de
Gorki, non loin du centre ultrasecret où il avait auparavant développé la bombe H
.
Il y restera
de
à
Il n'a pas le droit de téléphoner, de recevoir de visites, de courrier de
l'étranger. Il est filmé en permanence. Il réclame un procès qui n’aura jamais lieu. Il
entreprend la rédaction de ses mémoires, le manuscrit lui est volé, ce qui ne le décourage pas.
Sa femme Elena Bonner, militante des Droits de l’Homme, qui en 1975 est allée à Oslo
recevoir, pour son mari interdit de quitter l’URSS, le prix Nobel de la paix décerné à
l’inspirateur du traité de non-prolifération, désormais le seul lien de l’exilé avec le monde, lui
permet, par ses voyages réguliers à Moscou, de garder le contact avec sa famille et ses amis,
non sans conséquence pour sa santé à elle. C’est Elena qui envoie clandestinement des
télégrammes informant le monde de ses prises de position. Après deux infarctus, elle doit
cesser cette activité et Sakharov se retrouve tout à fait isolé. Malgré son état de santé peu
brillant, il entreprend, le 2 mai 1984, une grève de la faim pour obtenir qu'on laisse sa femme
aller se soigner à l'étranger
.
Il est hospitalisé et nourri de force. Enfin l’horizon s’éclaire
.
La
politique de
(transparence) amène Mikhaïl Gorbatchev à mettre fin à l’exil de
l’illustre savant en 1986. Même pour cette bonne nouvelle, les méthodes restent celles de la
police soviétique. En pleine nuit, deux agents du KGB sonnent à sa porte, accompagnés de
deux employés du téléphone réveillés dans l'urgence, pour installer un poste chez lui. En guise
de test de raccordement, l'appareil sonne et c'est
à l'autre bout du fil qui lui
annonce qu'il peut revenir à Moscou.
En
après la
la ville de Gorki, à qui son illustre
résident forcé a fait une réputation internationale ambiguë, reprend son nom initial de Nijni
Novgorod. Le premier gouverneur de l’oblast de Nijni Novgorod, un des « sujets » de la toute
nouvelle Fédération de Russie, est Boris Nemtsov, un proche de Boris Eltsine ; Nemtsov met
en œuvre des réformes libérales et pratique un style de gouvernement ouvert, qui susciteront
l’enthousiasme de Margaret Thatcher, lors de la visite de l’ex-First Lady britannique (elle ne
l’est plus depuis 1990) en 1993 ; il devient ensuite ministre fédéral en charge de l’Energie,
puis de l’Economie ; quand le tombeur du communisme passe le manche, il aurait envisagé un
moment de faire de Nemtsov son successeur, puis a choisi Poutine, ancien du KGB, devenu le
chef du FSB (Service fédéral de sécurité), qui lui paraissait mieux apte à rétablir l’ordre après
une décennie de bouleversements ; Nemtsov entre alors dans l’opposition, une opposition de
plus en plus tranchante au fil des années et des élections, axée sur la lutte contre la corruption
mais aussi, plus récemment, dénonçant l’intervention russe en Ukraine, jusqu’à ce qu’il soit
assassiné de quatre balles par un tireur en voiture dans la nuit du 27 au 28 février 2015 alors
qu’il passait à pied sur la large avenue bordant le Kremlin à l’est entre la Moskova et la
basilique Basile le Bienheureux. Cette affaire non élucidée jette une ombre fâcheuse sur le
régime en place.
They love not poison that do poison need
(Ils n’aiment pas le poison ceux qui
ont besoin du poison). Cette réflexion prêtée par Shakespeare à Henri IV d’Angleterre quand
il apprend la fin tragique de son prédécesseur Richard II conviendrait-elle à M. Poutine ?
J’apprendrai à mon retour en Dordogne qu’au temps où Boris Nemtsov était
gouverneur de Nijni Novgorod, libéralisant et stimulant l’économie de la région, mon voisin
au pays de la truffe Baudoin de Witt était parti chercher fortune là-bas. Baudoin est le
descendant d’une illustre famille hollandaise émigrée en Russie ; il est le fils de Serge de
Witt, officier de l’armée tsariste chassé de Russie par la force de la destinée, ayant poursuivi
sa carrière à la Légion étrangère française, mort à cent ans en son château du Périgord.
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