Descendre la Volga - page 48

NIJNI NOVGOROD
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plupart Cosaques ou serfs fugitifs. Encore mal assuré des dispositions de la province, il
semblait tâter le terrain. Peu à peu il s’enhardit, et fit des dupes assez nombreuses… »
Un certain nombre de proches du premier Démétrius se rallient au nouvel imposteur,
bien que sachant qu’il n’est pas le tsar disparu, pour venger leur maître. Les Polonais de leur
côté entendent venger leurs compatriotes massacrés à Moscou lors de l’assassinat de
Démétrius.
« Le peuple et surtout les Cosaques, mauvais juges des manières de cour, n’hésitèrent
plus à recevoir comme leur maître l’homme qui leur arrivait si bien accompagné. Il leur eût
suffi d’ailleurs qu’il s’appelât Démétrius et qu’il leur montrât le chemin de Moscou, la ville
des révolutions, dont ils rêvaient le châtiment, c’est-à-dire le pillage. »
L’armée du nouvel imposteur bat à plate couture l’armée tsariste, mais au lieu de
foncer sur Moscou, s’installe au village de Touchino, à douze verses de Moscou. L’imposteur
devient pour ses ennemis le
bandit de Touchino
. Il réussit à capturer ou à délivrer la tsarine
Marina, femme du premier Démétrius, et son père, que Chouïski avait décidé de renvoyer en
Pologne. Marina feint de le reconnaître comme son mari échappé à la mort une deuxième fois
et consent à vivre avec lui conjugalement, espérant redevenir impératrice de Russie. Le roi de
Pologne Sigismond entre en campagne à son tour et met le siège devant Smolensk, Il rappelle
à lui les troupes du deuxième Démétrius, qui doit s’enfuir à Kalouga, où Marina le rejoint,
essayant de le civiliser et d’adoucir sa férocité. Un autre prétendant au trône de Russie, dit le
Tsar Blanc
, se met de la partie, de même que les Tatars de Crimée qui remontent de leur
péninsule pour secourir le tsar Vassili. A la bataille de Klouchino les Polonais mettent en
pièces l’armée de Chouïski. Les boyards démettent Chouïski et offrent la couronne à
Vladislas, fils de Sigismond. Après un essai infructueux de marche sur Moscou, le second
Démétrius s’enferme dans Kalouga. « On assure qu’il avait résolu d’aller s’établir à
Astrakhan et d’y fonder une principauté indépendante… Trahi par les Polonais et les Russes,
il disait : ‘Je prendrai pour alliés les Turcs et les Tartares, pourvu qu’ils m’aident à
reconquérir le trône de mes aïeux ‘ » Malheureusement pour lui, le meurtre d’un prince
tartare, qui s’était risqué dans Kalouga pour convaincre son fils d’abandonner le service de
l’imposteur, lui aliène les compatriotes du prince assassiné, qui l’attirent dans un guet-apens
et le tuent. Exit le second Dimitri. Cependant Marina met au monde un petit Ivan, dont la
cause est défendue par un chef cosaque. Entre temps les Polonais, avec le plein accord des
boyards, ont occupé Moscou. Mais Sigismond n’accepte pas la couronne des tsars pour son
fils, la voulant pour lui-même, poussé par les jésuites, qui entendent bien faire passer la
Russie au catholicisme. Le sentiment national russe se réveille. « Le patriarche Higoumène,
vieillard de quatre-vingts ans, respecté par tout le peuple comme un modèle de vertu et de
piété sincère, poussa le premier un cri d’alarme qui retentit dans tout l’empire. De toutes parts
on prit les armes et la guerre recommença avec plus de fureur que jamais. » Smolensk finit
par succomber et n’est plus qu’un monceau de ruines. Les Polonais, bousculés par les troupes
russes venues des provinces, se retranchent dans le Kremlin. Les chefs russes qui les y
assiègent sont divisés entre eux sur l’avenir politique du pays. Kazan proclame tsar le fils de
Marina. Novgorod, l’ancienne capitale du Varègue Rurik, se donne aux Suédois.
Et voici comment Mérimée décrit la fin de la plus affreuse période qu’ait connue la
Russie :
« Une force invincible restait toutefois à ce pays malheureux : son impérissable
attachement à sa religion et à sa nationalité. Qu’il se trouvât un homme de tête et de cœur,
dégagé d’ambition personnelle qui plantât un drapeau, non plus au nom d’un prince, mais au
nom de la Russie et de la Foi opprimées, cet homme allait rallier tout le peuple. Cette mission
glorieuse échut à un citoyen obscur. Il s’appelait Kozma Minime, boucher à Nijni Novgorod.
Il harangua les habitants de cette ville avec une éloquence grossière mais entraînante : -
‘Levons-nous en masse, jeunes et vieux, leur dit-il. Le temps est venu de risquer notre vie
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