Descendre la Volga - page 56

NIJNI NOVGOROD
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L’édifice que nous avons sous les yeux a des allures de palais avec ses rangées de
fenêtres sagement disposées entre les colonnes soutenant le bord de l’étage supérieur. Ce
n’est qu’au sommet que Dieu reprend ses droits, si l’on peut dire, avec ses bulbes surmontés
de la croix, le principal d’un bleu azur constellé de pierres précieuses de toutes couleurs, les
quatre au-dessous, dédiés sans doute comme c’est la tradition aux quatre évangélistes,
composés de rangées obliques accolées de pastilles roses, jaunes et vertes. A côté est le
clocher du même style avec son bulbe en coupe hexagonale à couvercle portant la croix et le
fanion aux trois lanières effilées.
Redescendant vers le port, traversant une large avenue parallèle au rivage, je constate
que la Dame de Pique de Pouchkine est à l’affiche d’un théâtre local. Le bus nous attend. En
route maintenant pour le kremlin qui ne fut jamais pris ni par les khans voisins ni plus tard par
Pougatchev. Voici ce que dit Custine du kremlin de Nijni Novgorod :
« Je vous ai dit que chaque ville russe a son Kremlin… ; le Kremlin de Nijni avec ses
tours d’aspects divers et ses murailles crénelées qui serpentent sur une montagne bien plus
élevée que ne l’est la colline du Kremlin de Moscou, a près d’une demi lieue [2 km] de tour…
Lorsque le voyageur [venu par voie de terre] aperçoit cette forteresse du fond de la plaine, il
est frappé d’étonnement ; il découvre par moments au-dessus de la cime des pins malvenants,
les flèches brillantes et les lignes blanches de cette citadelle : c’est le phare vers lequel il se
dirige à travers les déserts sablonneux qui gênent l’abord de Nijni Novgorod par la route de
Iaroslavl. L’effet de cette architecture national est toujours puissant ; ici les tours bizarres, les
minarets chrétiens, ornements obligés de tous les Kremlins, sont encore embellis par la coupe
du terrain, qui dans certains endroits oppose de véritables précipices aux créations des
architectes… »
Finissant le trajet à pied, nous franchissons la porte monumentale aux deux rangées de
fenêtres vitrées plein cintre donnant sur le ciel, façade préservée d’un bâtiment peut-être
détruit par les bombardements de la Deuxième Guerre mondiale, où Nijni Novgorod,
importante ville industrielle de l’arrière fut une des cibles favorites de l’aviation allemande.
La guerre justement ! nous la retrouvons à l’intérieur où ses matériels – avions, chars,
batteries de lance-missiles etc. - sont exposés tout au long du rempart, merveilleux lieu de
promenade pour les familles, les enfants escaladant les surfaces métalliques, s’installant au
plus haut, étreignant les tubes des canons. A l’intérieur du kremlin, autour de la vaste place
centrale agrémentée de beaux jardins, se trouvent de beaux palais administratifs aux colonnes
blanches tranchant sur les murs ocre, et aussi la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, qui abrite le
tombeau de Kouzma Minime, le compagnon de Pojarski. Belle vue sur l’Oka au-delà duquel
est la cité marchande, où nous n’irons pas faute de temps (le temps est une denrée qui nous
manquera toujours durant ces deux semaines de voyage). Nous apercevons l’église repérée à
l’arrivée, où les marchands venaient faire leurs dévotions. Beaucoup de ces marchands étaient
des Vieux-Croyants buveurs de thé, le prix annuel du thé déterminant tous les autres prix du
marché. Custine, qui visita longuement la foire, nous décrit ainsi la « ville du thé » telle
qu’elle existait alors : « C’est un camp asiatique qui s’étend sur les rives des deux fleuves à la
pointe de terre où d’opère leur réunion [la pointe est toujours là mais la ville du thé a disparu].
Le thé vient de la Chine en Russie par Kiatka [en fait Kiakhta à la frontière russo-mongole, où
passera par la suite le Transsibérien], qui est au fond de l’Asie ; dans ce premier dépôt, on
l’échange contre des marchandises ; il est transporté de là en ballots qui de petites caisses en
forme de dés d’environ deux pieds [60 cm] en tous sens ; ces ballots carrés sont des châssis
couverts de peaux dans lesquelles les acheteurs enfoncent des espèces d’éprouvettes pour
connaître, en retirant leur sonde, la qualité de la marchandise. De Kiatka le thé chemine par
terre jusqu’à Tomsk ; il est chargé là dans des barques et voyage sur plusieurs rivières dont
l’Irtich et le Tobol sont les principales ; il arrive ainsi à Tiourmine [Tioumen], de là on le
transporte à nouveau par terre jusqu’à Perm en Sibérie [erreur du voyageur : Perm, en deçà de
1...,46,47,48,49,50,51,52,53,54,55 57,58,59,60,61,62,63,64,65,66,...152
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