Descendre la Volga - page 54

NIJNI NOVGOROD
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Baudoin, fidèle à son sang russe et à son esprit d’entreprise, avait voulu tenter sa chance en
terre paternelle après le nouveau Grand Changement ; arrivé à Nijni Novgorod, il s’y est
intéressé à une spécialité locale, non pas la truffe, mais un autre produit de la terre, les
champignons marinés (marinoviyé griby), faisant remplir de ce produit du terroir russe destiné
aux Français les camions ayant apporté sur les bords de la Volga des poulets gaulois. Le
même Baudoin profitera de son séjour au confluent de l’Oka et de la Volga pour faire un saut
en « raketa », le très performant hydroglisseur soviétique, jusqu’à Ouglitch, pour y retrouver
le souvenir du jeune Dimitri, le dernier des Rurikides, dont le destin fatal a occupé les
dernières années de son père, ce dernier écrivant en russe un « Boris Godounov et le mystère
Dimitri », qui fut traduit en français par Catherine Durand-Cheynet et publié en 1986 chez
Perrin, Serge de Witt lui-même quittant ce monde en 1991, plus que centenaire.
Désiré Fuzzelier arrive à Nijni Novgorod le 12 novembre 1813. Il en a une impression
mitigée ! « Ayant passé l’Oka, dans une barque, nous vîmes les bazars qui ne sont pas aussi
beaux que ceux des autres chefs-lieux de gouvernement. Quoique très commerçante, cette
ville n’est pas très bien bâtie. » Il note cependant : « Ce gouvernement est un des plus fertiles
et des plus riches de la Russie. » Il signale : « Il y avait dans cette ville des émigrés français,
qui étaient négociants à Moscou, mais qui furent emprisonnés à l’arrivée des Français dans
cette capitale. Ces malheureux avaient été dépouillés de tous leurs biens et ils n’avaient
aucune solde pour subsister…. » Indiquons au lecteur que le sort de ces « déportés de
Rostopchine » finira par se régler, plus ou moins positivement pour les intéressés. Fuzzelier
note encore : « La plupart des artistes [il veut dire : des professionnels], en Russie, sont
étrangers : horlogers, pharmaciens, chirurgiens, médecins, orfèvres, ingénieurs, peintres,
musiciens, fabricants, etc., etc. Très peu sont de la nation russe. » Certes la situation a changé.
Mais les Russes, sauf les anciens du KGB, ont-ils acquis l’esprit d’entreprise ?
Théophile Gautier arrive à la ville au nom mélodieux de bon matin ;
« On leva l’ancre de grand matin. Les palettes du
Provornii
brassant l’eau avec la
certitude que donne la lumière, nous ne ardâmes pas à être en vue de Nijni Novgorod. Il
faisait une de ces matinées blanches, nacrées, laiteuses, par lesquelles il semble que les objets
apparaissent à travers une gaze d’argent ; un ciel incolore, mais pénétré de soleil voilé, pesait
sur des collines grisâtres et sur l’eau du fleuve, semblable à de l’étain en fusion… Nijni
Novgorod s’élève sur une éminence qui, après l’interminable succession de plaines qu’on
vient de traverser, produit l’effet d’une montagne sérieuse. L’escarpement descend en pentes
rapides jusque sur le quai égayé de verdure et suivi dans ses zigzags abrupts par des remparts
en briques plâtrées çà et là de quelques restes de crépi. Ces murailles crénelées forment
l’enceinte de la citadelle, ou Kremlin, pour nous servir de l’expression locale… »
Nous ne sommes pas arrivés d’aussi bonne heure
Le matin à bord, nous avions eu une passionnante conférence de Tatiana sur « La
nouvelle puissance de Moscou, l’Etat russe du XIV
ème
au XVII
ème
siècle » : les principautés
russes sous le joug de la Horde d’Or, les conquêtes d’Ivan le Terrible, Boris Godounov, le
« temps des troubles », les débuts de la dynastie Romanov depuis l’appel au jeune Michel à
Kostroma jusqu’à l’avènement de Pierre le Grand. Je renvoie le lecteur encore une fois à la
Chronologie de la Volga qui conclut ce récit.
En fin de matinée nous avons franchi, en compagnie cette fois de l’Igor Stravinski,
l’énorme écluse double de Gorodets qui ferme le réservoir. Au cas où le niveau d’eau n’aurait
pas été suffisant de l’autre côté de l’écluse, nous eussions dû changer de bateau. Le
« Korotkov », autre bâtiment de la flotte de Vodokhod, nous eût attendus. Mais les pluies
d’été ont bien fait leur travail et ce transbordement s’est avéré superflu.
. Nous sommes passés ensuite sous le pont double routier et ferroviaire qui enjambe le
grand fleuve, admirant les puissantes structures métalliques posées sur les piles de béton. De
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