Descendre la Volga - page 25

LA VOLGA
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Le bassin de la Volga
Avant que nous la rejoignions, la Volga est passée à Tver (ex-Kalinine, du nom du
président de l’URSS au temps de Staline), à quelque 100 km au nord-est de Moscou, sur la
route de Saint-Pétersbourg, une ville de plus de 400.000 habitants, qui fut créée en 1182 par
Vsevolod, prince de Vladimir et Souzdal, devint plus tard elle-même une principauté et fut
quelque temps la rivale de Moscou, perdant toute son importance avec l’accès de la Russie à
la Baltique et la fondation de Saint-Pétersbourg.
Quand j’étais en poste à Moscou dans les années 60, ayant pris la route de Leningrad
avec ma vaillante Dauphine de l’époque, j’avais franchi la Volga à Kalinine, et derechef au
retour, loin de me douter qu’un jour je naviguerais sur ses eaux tranquilles tant de jours et tant
de nuits.
C’est à Tver qu’embarque pour descendre la Volga Théophile Gautier, parti en Russie
la même année que Dumas, mais plus tard, de sorte qu’ils ne se rencontreront pas. Dans les
années qui suivent l’avènement du tsar libéral Alexandre II et la fin de la guerre de Crimée, la
Russie attire beaucoup de Français, curieux de découvrir ce pays dont Custine a dit tant de
mal et auquel Tocqueville, qui n’y est jamais allé, réserve un grand avenir. Gautier, qui se
consacre avant tout à l’art et à l’architecture, passe l’hiver 1858-1859 à Saint-Pétersbourg et à
Moscou, où il trouve beaucoup à faire. La cathédrale Saint-Isaac, construite par Auguste
Ricard de Montferrand (1786-1858), architecte français arrivé à Saint-Pétersbourg en 1816 et
qui y resta jusqu’à sa mort, occupe tout un long chapitre de son
Hiver en Russie
. Mais quand
viennent les beaux jours l’envie d’aller plus loin est irrésistible. Le but est alors Nijni
Novgorod (nous verrons plus tard pourquoi), mais il suit le « chemin des écoliers » :
« Contrairement à la sagesse bourgeoise, nous commençâmes par rétrograder jusqu’à
Tver pour prendre le Volga presque à sa source, nous confier à son cours tranquille et nous
laisser porter indolemment vers notre but… A Tver, le Volga est encore bien loin d’avoir ces
larges dimensions qui, près de son embouchure dans la mer Caspienne [où l’auteur de ces
lignes n’est pas allé], le rendent semblable aux grands fleuves d’Amérique [que Gautier n’a
pas davantage connus]. Certain de sa grandeur future, il commence modestement son cours
sans enfler son onde ni jeter de folle écume, et coule entre deux rives assez plates…»
Son choix d’embarquer à Tver nous permettra de l’avoir pour compagnon de voyage
jusqu’à Nijni.
Et voici comment il voit le fleuve :
« La couleur de ses eaux surprend quand on l’examine, abstraction faite des
miroitements de lumière, des reflets du ciel et des répétitions d’objets ; elle est brune et
ressemble à du thé foncé. »
N’étant pas buveur de thé, j’avoue n’avoir pas fait ce rapprochement. Mais Gautier
explique :
« Sans doute le Volga doit-il cette nuance à la nature de sables qu’il tient en
suspension et déplace incessamment, changeant son chenal avec autant d’inconstance que la
Loire, ce qui rend la navigation sinon périlleuse, du moins difficile, surtout dans cette partie
du cours et à l’époque où les eaux sont basses. Le Rhin est vert, le Rhône est bleu, le Volga
est bistre… »
Il vit lui-même ces aléas de la navigation sur cette partie du fleuve.
« En de certains endroits, le sable affleurait presque, et la
Nixe
plus d’une fois se frotta
le ventre contre le gravier ; mais une palpitation plus rapide de roues l’enlevait et la
replongeait dans le courant… Le peu de profondeur du fleuve, la nécessité de reconnaître les
bouées, ne permettaient pas de se risquer à des navigations nocturnes…»
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